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LE GRAND RETOUR
Christian Moriat
Chapitre 1
Le voyage
Chapitre 1 - 2ème partie
Tacata...tacata...tacata.
C'est le chant de la locomotive.
Tacatacatacata. C'est celui des armes. Plus effrayant. Car au bout
de la balle, il y a des êtres humains - hommes, femmes ou
enfants. L'une d'entre elles vient de tomber sur le ballast. Avec
son bébé, qu'en vain, elle tentait d'allaiter, lors
que de lait, elle n'avait point. Deux fois on l' a entendue crier.
La première quand elle a chu. La seconde quand elle a reçu
la décharge. Même que le petit a pleuré. Pas
longtemps. Une rafale dernière ayant éteint ses pleurs.
Tacata...tacata...tacata...
On sait qu'on va mourir. Nos libérateurs sont sur nos talons.
Et dire qu'il nous faudrait tenir deux ou trois semaines de plus.
Aurais-je la force ? Vu que, de nous, il convient de se débarrasser.
Pas de traces. Aussi, au bout du voyage, s'attend-on à une
purge prochaine - à condition qu'il en reste. Cette fuite
en avant fait partie du plan.
Tacata...tacata...tacata...
On est bien en Allemagne. Maudit pays de nos bourreaux. Ou ce qu'il
en reste. Étant donné
le spectacle qu'on a sous les yeux. Avec des villes réduites
à des tas de ruines encore fumantes. Pire
qu'en Pologne. Et je m'en réjouis. Et n'en ai point honte.
Ce ne sont qu'amoncellements de
pierres, de briques et de gravats. Puis de poutres mêlés
à des meubles éventrés. Avec des gens hébétés
qui, dessus perchés, sont à la recherche de leurs
biens - du moins ceux qui sont récupérables. Rien
de nouveau en définitive.
Ils sont si occupés qu'ils ne nous regardent même pas
passer. Ce qui nous change de l'aller. Quand de nous, ils nous raillaient.
Nous jetant des seaux d'eau à la figure, lors qu'à
l'occasion d'une halte, on leur demandait à boire. Ou nous
tendant des morceaux de pain, quand on avait faim. Degré
ultime dans l'échelle de la cruauté, au dernier moment,
la plupart prenaient un malin plaisir à les faire volontairement
tomber sur le ballast. J'ai vu cela aussi. Et jamais ne l'oublierai.
Avaient-ils su, ces bourreleurs,
qu'on nous conduisait vers l'enfer ? Naturellement. Pour eux aucune
pitié. Tous coupables ! Du premier au dernier. Du simple
citoyen au Führer. En passant par la horde toxique et sanguinaire
d' affidés endoctrinés.
Ainsi, au regard de ce que leurs concitoyens nous ont fait endurer,
suis-je dépourvu de toute capacité affective à
l'égard de ces victimes penchés sur les décombres
de leurs maisons. Dans l'incapacité que je suis, à
compatir à leur sort. Ils n'ont que ce qu'ils méritent.
Parce qu'ils l'ont cherché. Et ont fini par trouver ce qu'ils
avaient bien cherché. À leur tour de payer. Qu'ils
crèvent ! La bouche ouverte.
Soudain...
Ronron d'un avion attirant notre attention. C'est au-dessus de nos
têtes que cela se passe. C'est la RAF, qui s'en retourne à
sa base, après avoir bombardé la ville...
On tremble. Toutefois, l'Anglais ne tire pas. On comprend qu'il
s'agit d'un tour de reconnaissance. Il est seul. Et nous a aperçus.
Au prochain passage, ce sera pour nous. Or, on risque gros avec
les gardiens de vert de gris vêtus, qui nous font escorte.
Lesquels, avec précipitation, préfèrent cacher
leurs armes. Et retirer vestes et képis - les parties les
plus voyantes de leurs attributs nazis.
Ce qui est saugrenu, c'est d'observer que ceux qui tout à
l'heure sans état d'âme, tiraient sur une mère
et son bébé, sont terrorisés. La frayeur les
paralyse, dans l'oubli qu'ils sont de tirer sur l'appareil. Lequel
est vraisemblablement en passe d' entamer un demi-tour.
Lâche est le bourreau qui fait bon marché de la vie
des autres, mais pas de la sienne. Lequel irrémédiablement
et sans scrupule, nous emmène à bord de cet ignoble
train de la mort.
Cette fois, c'est bien pour nous.
On ne s'était pas trompé. Voilà l'engin qui
revient. Gare à la mitraille...
Vite ! Vite ! On rassemble tout ce que sur nous, on possède
de blanc. C'est-à-dire pas grand-chose. Mais comme nous sommes
des centaines et des centaines, le nombre suffit pour habiller le
train. Aidés que nous sommes par une garde-chiourme épouvantée.
Second passage de l'avion, après
un piqué. Le vol est plus bas cette fois. Et tous de crier,
de gesticuler. Du moins celles et ceux qui sont en capacité
de le faire - comme si de là-haut, on pouvait nous entendre.
En agitant à bout de bras nos vestes de bagnards.
Il est si près de nous, qu'on aperçoit le pilote,
dans son cockpit.
Non. Pas sur nous. Ne tire pas ! Il n'y a pas pire situation que
de se faire tuer par un allié... !
Ça y est. Il a compris.
Qui élégamment fait remonter son appareil pour définitivement
s'éloigner. Nous sommes sauvés. Jusqu'à quand
?
Et nos gardiens, qui nous doivent la vie, de se rhabiller. Parce
qu'ils ont froid. Lors que nous, nous sommes gelés. Ce qui
est le cadet de leur souci.
Ça y est. L'alerte est passée, on peut continuer.
La loco qui, instinctivement avait
considérablement ralenti, vient d’accélérer.
La neige ne tombe plus. Ce qui n'est pas le cas de la nuit qui commence
à s'inviter à notre errance.
Mais, à peine avons-nous parcouru une demi-douzaine de kilomètres
que...
Tacata...taca...ta...cata...
Que se passe-t-il ? Le train vient de s'arrêter en pleine
campagne. Nous sommes au beau milieu d'un bois. Ce n'est pas la
première halte. Mais cette fois, autour de nous règne
une effervescence peu commune. Ponctuée d' ordres, de cris
et de hurlements. Décidément, l'Allemand ne sait pas
parler sans aboyer.
D'où je suis, je ne vois rien... Puis des voix de détenus
qui courent de wagon en wagon pour mettre fin à nos interrogations...
Je crois comprendre qu'un train a été bombardé.
Qui bloque le passage sur la voie. Même que des rails seraient
tordus...
Impossible d'aller plus loin. Quant
à faire machine arrière, il ne faut pas y songer.
Les alliés sont trop près, qui pourraient nous délivrer
et massacrer nos cerbères.
Des ouvriers, paraît-il, sont en train de s'affairer pour
dégager une locomotive qui, d'après ce que l'on comprend,
gît dans un fossé, au milieu d'un enchevêtrement
de wagons endommagés. Des grues viennent d'arriver. De l'endroit
où je suis, je les aperçois dans le halo des projecteurs
qui ont été installés.
Le spectacle est irréel.
Notre train, après un ultime jet de vapeur, est à
l'arrêt complet. J'ignore le temps qui sera nécessaire
pour dégager l'amas de ferraille et rétablir la circulation.
Certainement beaucoup.
La situation de s'éterniser.
Ce qui importe peu. Tant on appréhende l'issue du voyage.
Finalement, cet imprévu est une aubaine. C'est autant de
gagné sur le peu de temps qui nous reste vivre.
Par contre, ce que gagnons d'un côté, nous le perdons
de l'autre, car plus les heures passent, plus le manque d'eau et
de nourriture deviennent oppressants.
Tiens ! Cette fois il pleut. Dieu
soit loué ! On est trempés. La pluie est bienfaisante
qui apaise notre soif.
Puis, l'attention des gardes de se relâcher. Certains sont
descendus, afin de donner un coup de main aux employés des
chemins de fer. C'est alors que la nuit commence à tomber.
Une nuit, qui, à l'évidence, s'annonce sans étoiles
et sans lune, tant sont nombreux les nuages qui obscurcissent un
ciel de suie. Aussitôt l'envie de sauter me ronge. Ce que
mon instinct me déconseille pour l'instant. C'est encore
trop risqué. Pour l'heure, il convient de patienter Mais
pas trop quand même.
J'ai faim. Très faim. Et
ne suis pas le seul.
Je suis fort tenté d'aller fureter dans les champs, à
la recherche d'une éventuelle nourriture. Une ou deux pommes
de terre oubliées ? Une betterave ou deux ? Pourquoi pas
?
Malgré tout, comme chacun fait profit de tout, étant
données les privations, les paysans du coin n'ont pas dû
laisser grand-chose dans les champs. En outre, par malheur, c'est
que nous
sommes en hiver. Et que, cette fois-ci, il fait nuit noire. Si notre
fuite en sera favorisée, l'obscurité, par contre,
constitue néanmoins un handicap. Non seulement pour nous
orienter, mais également pour chercher à manger. Tout
se ligue contre nous. Mais la fuite est une opération qu'il
me faut oser. Je suis à ce point affamé, que je serais
capable de manger de l'herbe. À telle enseigne que je suis
sujet à des hallucinations. Avec une tête pleine d’images
de déjeuners copieux, de goûters et de soupers pantagruéliques.
Lorsque j'étais chez mes parents, ma mère faisait
des pommes de terre sautées à la cocotte ! Un régal
! Si j'avais assez de salive, je pourrais saliver. Mais il m'en
reste trop peu.
Que ne donnerais-je pas aussi pour une bonne soupe de croûtons
aux vermicelles, avec des
morceaux de lard qui nagent à la surface. Je les imagine.
Je les vois. Je les sens d'ici. Ou bien une cuisse de poulet. Ou
une appétissante omelette aux champignons. Avec pour dessert
un camembert bien crémeux sur du pain frais. Ou encore une
bonne purée, bien onctueuse. Dire qu'autrefois, je m'amusais
à dessiner des rails dedans, avec les dents de ma fourchette
- une honte ! Combien je le regrette ! Sans oublier les œufs
à la coque. Avec des mouillettes. Je ne sais pas pourquoi,
mais sur les œufs, j'ai toujours fait une fixation. Dès
que je ferme les yeux, la première image que j'ai à
l'esprit est celle d'une dizaine de coquetiers disposés devant
moi, entre verre et assiette, sur la table familiale.
Au fait, ma mère qu'est-elle
devenue ? Après Drancy où on nous avait entassés
dans des wagons à bestiaux. Puis on a erré de camp
en camp - de Poitiers, de Pithiviers, de Beaune-la-Rolande, le moins
sinistre, le plus humain, lequel étant gardé par des
douaniers que cette occupation visiblement ennuyait. J' avais été
séparé d'elle dès notre arrivée sur
la rampe d'Auschwitz.
C'était une arrivée très tôt le matin.
Entre une heure ou deux. À la lumière crue de puissants
projecteurs. Les femmes, les enfants, les vieillards et les impotents
: à gauche. Les valides, dont, malgré mes dix ans,
j'avais fait partie : à droite. Sans doute devais-je cette
faveur à ma taille, qui me rapprochait davantage de l'adolescence
que de l' enfance. Ou bien à ce haut gradé SS. Lequel
m'avait regardé droit dans les yeux. Semblant extrêmement
étonné de me voir. Sans doute devais-je lui rappeler
quelqu'un ? Toujours est-il qu'après hésitation, il
avait suspendu le geste de sa cravache, celle qui arbitrairement
rend grâce ou condamne, pour m'accorder un sursis. C'est comme
cela que j'avais été temporairement sauvé.
Plus tard, je l'avais rencontré
dans le camp. C'était un personnage d'une cruauté
sans égale. Qui n'hésitait pas à frapper les
détenus à mort. Pourtant, avec moi, il était
plus clément. Peut-être lui rappelais-je quelqu'un
?
À telle enseigne qu'un jour, il m'avait offert une pomme.
Un véritable trésor ! Même que l'un de mes compagnons
de misère, sans doute envieux, m'avait dit de pas la manger,
car elle devait être empoisonnée.
Naturellement, je ne l'avais pas écouté. Et bien m'en
avait pris, car je n'avais jamais goûté fruit aussi
savoureux. Aussi, pour qu'elle me fasse du profit, l'avais-je coupée
en deux. Et, le lendemain je mangeais l'autre moitié. Si
tant est que "manger" ne soit pas le mot qui convienne.
Ce fruit, je m'en souviens encore. Je l'avais savouré. Lentement.
Très lentement. La gardant le plus possible dans la bouche.
La laissant fondre sur la langue, avec délectation.. Comme
elle était bonne !
Pour en revenir à ma mère,
ma chère petite maman, je l' avais vus partir, sous bonne
escorte,
avec d'autres femmes.
Au début, je n'y avais pas pris garde. Complètement
anesthésié que j'avais été, après
un si long voyage. Et j'avais pensé par la suite, la retrouver.
D'autant plus qu'autour de moi, j'avais entendu dire par des soldats,
qu'ils partaient prendre une douche. Plus tard, en désignant
les panaches de fumée noires qui s'échappaient des
cheminées, on m'avait fait comprendre que c'était
par là qu'elle partait. Quel cynisme ! On leur avait laissé
croire que c'était pour se rafraîchir. Ou expliquer
que c'était pour des questions d'hygiène. Certains
ayant des poux, il ne fallait pas qu'ils contaminent le camp !
Jusqu'où peut-on pousser la cruauté !
Ce qui, pourtant, m'avait interpellé,
c'est qu'ils leur avaient recommandé de laisser sur place,
sacs et valises. Avec la promesse de les récupérer
par la suite. Tâche qui leur aurait été difficile.
Vu qu'ils auraient été bien en peine de les retrouver,
car tout avait déjà disparu sous le tas monumental
que représentaient les biens de "voyageurs", abandonnés
de force.
Ce qui m'avait également intrigué, c'était
le comportement de drôles d'individus maigres et en pyjamas
rayés, qui s'activaient pour les emporter. On aurait cru
des pantins. Ce qui, au sujet des bagages avait valu à un
SS la réflexion suivante, afin de prévenir toute interrogation
:
- Ne vous inquiétez pas. Ils arriveront avant vous.
Je m'étais demandé aussi pourquoi ces soldats allemands,
qui étaient nombreux, avaient besoin d'être autant
armés, pour conduire des gens à la douche. Puis, je
m'étais également interrogé sur la présence
des molosses qui les accompagnaient. Lesquels n'en finissaient pas
d'aboyer et de montrer leurs crocs. Même que l'un de nos compagnons
d'infortune s'était fait mordre jusqu'au sang pour avoir
refusé de quitter son sac.
Malgré tout, en dépit
des allégations fantaisistes des uns et des autres, à
la mort de ma mère, je ne croyais pas. Elle était
en bonne santé, malgré l'inconfort du voyage. Pourquoi
nos geôliers se priveraient-ils d'une main-d’œuvre
apte au travail et si bon marché ? La preuve, elle faisait
partie d'un groupe de femmes mis plus loin, à l'écart
des vieilles, des malades, des handicapées et des maigrichonnes
? Ces dernières étant parties avant les autres. Même
que d'aucunes, dans l'incapacité de marcher qu'elles étaient,
étaient portées sur des civières par la diligence
des petits hommes zébrés. Ce qui n'avait pas été
le cas de ma mère et de ses compagnes, qui, après
être restées un petit moment ont fini par disparaître
de ma vue dans le vif éclat des projecteurs.
Ce qui n'est pas le cas du plateau
du wagon sur lequel je me trouve actuellement; lequel n'est pas
éclairé. Et comme les trois-quarts des gardiens sont
à l'avant du convoi, la surveillance est plus relâchée.
D'autant plus que l'endroit semble idéal, car, malgré
l'obscurité, l'on devine la proximité de la forêt.
D'autres y ont pensé, qui
commencent à passer par dessus les ridelles. Ce qui n'est
pas une mince affaire, dans l'état de délabrement
où ils sont. En outre, non seulement nos bourreaux sont armés,
mais ils ont des chiens, et comme nous sommes à bout de force,
ils vont avoir vite fait de nous rattraper. Puis de nous mitrailler.
Toutefois, après avoir pesé le pour et le contre,
je me dis que temporiser risque de m'être préjudiciable.
Car plus je vais attendre, plus il va y avoir de candidats désireux
de s'évader. Aussi, notre escapade aura-t-elle moins de chance
de passer inaperçue.
Que faire ? J'évalue mes
chances de survie. Dans la nuit. En pleine forêt. Dans une
contrée pour moi inconnue... Mes chances sont minimes.
Tant pis, j'essaie. Après il sera trop tard.
Nous sommes une demi-douzaine à
tenter l'expérience. J'en vois déjà qui sont
passés de l'autre côté du fossé, lequel
nous sépare de la voie. Mais, mon état de faiblesse
est tel que j'ai d'énormes difficultés à me
hisser par dessus les ridelles. Aussi, poussé par mes compagnons
d'infortune, qui me prêtent leur dos pour grimper, je parviens
néanmoins à me hisser sur la balustrade. Je suis à
cheval à présent. Il ne me reste plus qu'à
me laisser glisser. Gare à la chute...
Et c'est après un joli roulé-boulé, que j'atterris
sur le ballast.
Aïe ! Me voilà bien. Ma cheville droite vient de tourner.
J'ai si mal que je peine à retenir un cri de douleur... Je
me suis foulé la cheville. Le moment est mal choisi. C'est
un handicap dont je me serais bien passé.
Aussi, après un pénible franchissement du fameux fossé.
est-ce en boitant bas, que je réussis à me fondre
dans l'obscurité.
Mais où aller ? Je cherche
à m’orienter. Par ici ? Non, plutôt par là.
Il y a moins de fuyards. Lesquels sont stupides qui se suivent comme
des moutons. Hélas! mon handicap devient vite une gêne.
J'ai beau serrer les dents et m'éloigner le plus vite possible
des lieux du drame, me déplacer engendre pour moi une douleur
intolérable. Malgré le bout de bois mort ramassé,
qui me fait office de canne.
Quant à courir, n'y pensons pas. Si la volonté commande,
la faculté fait défaut. Et c'est avec une extrême
difficulté que je progresse. D'autant plus que l'obscur est
si profond que je ne vois pas où je mets les pieds. Le sol
étant truffé de fondrières gorgées d'eau
boueuse. Quand je ne bute pas
sur des taupinières...
Il pleut toujours. Lentement, j'avance.
Trouvant le temps long. Mais, un pas poussant l'autre, même
s'il est petit, me fait progresser. De toute façon, je n'ai
pas le choix. Sur le ventre j'irais. S'il le faut.
Enfin, une futaie. Le terrain, bien plus plat, me convient mieux.
Toutefois la grande distance qui sépare les arbres entre
eux, me rend repérable. Il faut absolument que je quitte
cet endroit pour moi beaucoup trop dangereux.
Je m'arrête un instant pour constater l'état de ma
cheville. Elle est enflée. Mais je ne peux pas rester là.
Il me faut fuir. Plus loin. Encore plus loin.
J'ai faim. J'ai soif. Je suis à bout de force.
Cette fois, c'est une véritable jungle de fougères
géantes que je traverse. Lesquelles me mouillent jusqu'aux
coudes. Sans parler des branches qui s'égouttent sur ma tête.
Trempé, je l'étais déjà. Cette fois,
je le suis de la tête aux pieds. Néanmoins, les pousses
à tête de violon des "fougères à
l'autruche" - les seules comestibles -, sont dévorées
à pleines dents. Celles-ci arrivent à point nommé
pour mon ventre qui crie famine.
Ces plantes, d'après ce que j'en sais, ne sont-elles pas
porteuse d'énergie et de protection ? Ne dit-on pas qu'elles
attirent la chance et la fortune ? Si seulement...!
Me voici à présent au beau milieu d'un entrelacs de
ronces, dont j'ai du mal à me dépêtrer. Lesquelles
s'agrippent à mes pauvres loques rayées, jusqu'à
déchirer mes bas de pantalons. Du plat de mon gourdin, pour
faciliter la marche, je tente de les aplatir le mieux possible.
Ce qui n'est guère commode. Mes jambes sont rembardées
¹ de griffures. Je n'ose pas regarder, mais je sais que je
saigne.
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1. Patois champenois.
À SUIVRE